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Publié le :

3 juin 2025

Dernière mise à jour :

3 juin 2025

par

Maha

Une lecture de "Nos vies sont faites comme ça" de l'écrivain Jean Zaganiaris par Michel Boyer

On en parle

Un compte-rendu de Michel Boyer, professeur à Sciences Po Rabat-Université internationale de Rabat du roman Nos vies sont comme ça de Jean Zaganiaris.


Dans Nos vies sont comme ça, Jean Zaganiaris livre un roman subtil, humain et critique, centré sur l’histoire d’un amour naissant entre deux lycéens Nicolas et Salma, en classe de terminale dans un établissement scolaire de Rabat. Mais ce faisant, il s’écarte résolument des récits formatés que nous ressert la téléréalité, où les relations humaines se réduisent à des postures codifiées, des dialogues creux et des affects surjoués. Nos vies sont comme ça ne raconte pas la « transformation » spectaculaire d’un adolescent en adulte accompli, ni une histoire d’amour édulcorée à coups de clichés. Ce que Jean Zaganiaris propose, c’est tout autre chose : une traversée subtile de l’adolescence, dans ce qu’elle a de plus vrai, de plus hésitant, de plus profondément humain. Ici, pas de scénographie tapageuse ni de morale à rebours : juste la vie, dans ses failles, ses tremblements et ses élans dans une narration qui refuse la mise en spectacle pour mieux approcher l’authenticité des liens, la fragilité des émotions et la puissance silencieuse des rencontres. À travers Salma et Nicolas, l’auteur explore toute la complexité de l’adolescence, non comme une simple transition mais comme une période existentielle, et émotionnelle intense. Le récit capte les tensions intérieures, les aspirations et les élans d’un âge où se cherchent et se construisent les identités, à travers : le quotidien scolaire, les attentes familiales, la vie de groupe. Là ou les jugements du monde adulte forment un cadre oppressant les personnages opposent des formes de résistance discrètes mais vitales : l’amitié, le sport, la musique. Le football devient ainsi un territoire symbolique de liberté partagée et la musique de leurs play list agit comme une bande-son intime, ponctuant les silences, les manques et les désirs. L’adolescence est ici conçue comme un moment de résistance aux normes dominantes et de réinvention de soi, à travers des expériences sensibles et partagées.

La relation entre Salma et Nicolas, loin d’être idéalisée, est au cœur de l’ouvrage. Elle donne lieu à une exploration fine de ce que signifie aimer et être aimé, non pas pour se conformer mais pour se révéler à soi-même. Le roman évoque aussi la lourdeur des attentes sociales : Salma, brillante mais meurtrie, porte une culpabilité injuste ; Nicolas, tente de résister au formatage imposé d’une adolescence protégée mais sans réelle affection. Leur lien s’approfondit notamment grâce à un atelier d’écriture scolaire, transformé en refuge où la parole devient libératrice. Par-delà la dimension sentimentale, le roman s’inscrit ainsi dans une critique sociale structurée. Il dénonce avec subtilité le fossé entre les discours de l’institution scolaire (mérite, égalité) et les réalités vécues par les élèves (condescendance, admonestation, mépris, conformisme). Jean Zaganiaris parvient à incarner cette critique à travers des personnages crédibles et touchants ceux de Jad, Rim, Nabil, Lina, Stéphane et Rachid. Le style simple et maîtrisé de l’auteur, nourri de ses recherches en sciences sociales, confère au texte une densité rare. Loin du pamphlet ou du didactisme, Nos vies sont comme ça est un récit sensible et vibrant, une œuvre « avec la jeunesse » plutôt que sur elle. À l’heure où les débats sur l’éducation, l’adolescence, les libertés individuelles ou les rapports entre générations sont au cœur des préoccupations sociétales, ce texte trouve toute sa place. Il est à lire, bien sûr, par les adolescents eux-mêmes, qui s’y reconnaîtront sans doute. Mais il devrait surtout être lu par les adultes, éducateurs, parents, animateurs, pour qui il constitue un miroir tendu – parfois sans concession – sur leur propre rôle dans la transmission ou l’oubli des valeurs d’écoute, de solidarité et de confiance

« Cette histoire est vraie, puisque je l’ai inventée », disait Boris Vian. Et moi, en refermant Nos vies sont comme ça, j’ai approché ce que voulait dire l’auteur de L’Écume des jours. Jean Zaganiaris m’a raconté une histoire qui n’est pas la mienne, et pourtant, j’y ai reconnu mes doutes, mes élans, mes silences. Il m’a montré, à travers Salma et Nicolas, que l’amour existe, encore et toujours, à redécouvrir, à réinventer — pas celui des films ou des slogans, mais celui qui naît dans les failles, dans les regards sincères, dans le désir de comprendre l’autre sans le posséder. Et parce qu’il l’a montré avec justesse, tendresse et vérité à travers les élèves de la terminale 10 du Lycée Victor Miesel, je me sens rassuré. Comme si ce roman m’avait soufflé, tout bas, que c’est toujours possible. Alors oui, ma vie est meilleure maintenant. Il me semble bien que ça sert à ça, la littérature.

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